Yassine Chattout, Mathieu Rouy, Marie Tillmann
Doctorants en droit européen
Equipe de droit international, européen et comparé – EDIEC
Université Jean Moulin Lyon 3
Dès 2000, Nicolas Moussis posait la question de savoir si l’Union européenne (UE) n’était pas confrontée à un déficit d’information plutôt qu’à un déficit démocratique (v. Nicolas Moussis, « La construction européenne et le citoyen : déficit démocratique ou déficit d’information ? », Revue du Marché commun de l’Union européenne (RMCUE), 2000, p. 153). Si l’Union européenne est souvent critiquée pour son manque de démocratie, force est de constater que les élections européennes, seul grand évènement démocratique de la vie institutionnelle européenne, sont marquées par une faible participation. En effet, lors des élections européennes de 2014, le taux de participation s’élevait à 42,61% (taux en constante baisse depuis 1979 et les premières élections réalisées au suffrage universel direct ; v. site du Parlement européen : http://www.europarl.europa.eu/elections2014-results/fr/turnout.html). Ainsi, « d’année en année, de mandature en mandature, les élections européennes mobilisent peu. La politisation recherchée des débats n’a pas atteint ses objectifs » (v. Florence Chaltiel, « À un an des élections européennes », Rev. UE, 2018, p. 38).La faiblesse de la participation aux élections européennes est révélatrice d’un certain désintérêt et d’une méconnaissance du fonctionnement de l’Union européenne. Ceux-ci trouvent leur racine, très certainement, dans une relative instrumentalisation de l’Union européenne par les gouvernements nationaux, mais aussi dans le fait que les affaires européennes sont très peu présentes dans les médias nationaux (v. Nicolas Moussis). En effet, rares sont les émissions consacrées à l’Union européenne sur les chaines de radio ou de télévision en France. Au contraire, l’actualité européenne n’est très souvent que peu ou mal exploitée par les médias nationaux. Si les réalisations de l’Union européenne sont si peu évoquées par les médias nationaux, c’est « probablement parce qu’elles sont trop techniques, trop détaillées et parfois trop compliquées pour être comprises par le grand public et parfois par les journalistes eux-mêmes » (v. Nicolas Moussis, « L’apathie des citoyens européens : diagnostic et thérapeutique », RMCUE, 2009, p. 522). Il n’existe, par ailleurs, pas de réel média européen. Si Euronews est certes une chaîne pan-européenne et multilingue, son audience reste relativement basse et son accès peu aisé.
La faible présence de l’Union dans les médias est finalement la cause du désintérêt du citoyen pour les affaires européennes mais également son effet. Si les médias n’en parlent pas, les citoyens ne peuvent s’y intéresser, mais comme les citoyens ne s’y intéressent pas, les médias ne sont pas encouragés à en parler. Or cette situation est problématique à deux titres. D’une part, cette méconnaissance de l’Union européenne est une menace pour l’intégration européenne. D’autre part, que l’on soit favorable ou non à la construction européenne, du fait de l’importance des affaires européennes dans notre vie quotidienne, l’information des citoyens est un véritable enjeu démocratique.
Face à cette visibilité précaire de l’Union dans les médias, les institutions de l’Union sont tentées de communiquer par elles-mêmes. Ainsi, Florence Chaltiel propose qu’« à l’heure du numérique omniprésent, la confection de petites vidéos présentant les travaux du Parlement, ses discussions sur des textes régissant la vie quotidienne des citoyens européens, pourrait donner une visibilité renforcée » (v. Florence Chaltiel, « À un an des élections européennes », Rev. UE 2018. p. 389). Une tentative du Parlement européen a été réalisée sans réel succès (v. par exemple https://www.youtube.com/watch?v=-3LGFgXC_fI)
Par ailleurs, à côté de cette faible visibilité, soulignée et critiquée à de nombreuses reprises, l’Union européenne se retrouve confrontée à un manque de réceptivité du public et à une confusion générale tant à travers la réception de ses messages que dans la manière de les retransmettre. Cela est accentué par la perception de l’Union européenne par les médias des pays membres qui, comme souligné plus haut, diverge. L’exemple du Royaume-Uni est probant notamment au travers de sa presse écrite. Depuis son entrée dans la Communauté économique européenne, en 1973, de nombreux grands titres nationaux anti-européens sont parus, accentués avec la période précédant le Brexit (v. la une du Daily Mail du 22 juin 2016 : « If you believe in Britain vote Leave », ainsi que la une du Sun du 14 juin 2016 : « BeLEAVE in Britain » …). Face à ces campagnes qualifiables de publicité et non d’information, les médias pro-européens nationaux sont restés relativement stoïques (v. https://www.theguardian.com/media/2016/jun/24/mail-sun-uk-brexit-newspapers ).
Une
distinction doit dès lors être opérée entre les concepts d’information, de
communication et de publicité, souvent amalgamés dans la vie courante. Pour ce
qui est de l’information, elle se définit comme « le renseignement possédé
et l’action de le communiquer à autrui » (v. Gérard Cornu, Vocabulaire
juridique, Association Henri Capitant, 11ème édition Quadrige,
Paris, janvier 2016, p. 547). Une
communication est le « fait de porter un évènement ou un élément
d’information à la connaissance d’une personne déterminée » (v. Gérard
Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 11ème
édition Quadrige, Paris, janvier 2016, p. 209). Une publicité est, quant à
elle, « toute communication quelle qu’en soit la forme destinée à
promouvoir la fourniture de biens et de services » (v. Gérard Cornu,
Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 11ème édition
Quadrige, Paris, janvier 2016, p. 832). Une communication est donc un ensemble
d’information destiné à une personne donnée, tandis qu’une publicité est
composée exclusivement d’informations destinées à la promotion d’un produit ou
d’un service. Une citation peut résumer cette distinction : « L’information
est libre, la publicité est contrôlée » (v. Bertrand Liard, « La
frontière entre information et publicité », Information et produits de
santé, quelles perspectives?, sous la direction de Anne Laude et Didier Tabuteau,
Collection Droit et Santé, PUF, 2006, p. 49.). L’Union européenne ne doit
donc pas faire sa promotion mais une campagne d’information ou encore de
communication pour éviter de rencontrer de trop nombreuses critiques.
A la lumière de ces précisions, il
convient de s’interroger sur la question des moyens mobilisables afin de
remédier au déficit d’image dont souffre l’Union européenne. Lors de la
consultation citoyenne du 26 octobre 2018 (L’Europe vue de l’amphi), il a été
émis l’idée de tourner des vidéos informatives, qui seraient diffusées sur les
antennes télévisées, à la radio et sur les réseaux sociaux. Néanmoins, la
portée de ces campagnes de communication risque d’être amoindrie du fait même
de l’auteur dont elles émanent. Le fait pour l’Union de réaliser seule sa
propre communication risque d’être contre-productif. Cette initiative pâtirait
en amont des critiques faites à l’Union sur sa manière de communiquer.
Autrement dit, quelle crédibilité accorder à cette démarche, quand c’est
justement l’image de l’Union qui est écornée ? Cela pose un problème de neutralité
de la démarche, et nous amène au constat que l’Union européenne ne peut pas
parvenir seule à remédier à son déficit d’image.
Au-delà du discours de l’Union
européenne, c’est peut-être avant tout le discours sur l’Union européenne qui doit évoluer. Or celui est
principalement le fait des diffuseurs d’information au sein des différents
Etats membres. Paradoxalement, l’Union se trouve dans la situation où son image
dépend plus des acteurs nationaux, que d’elle-même. Le problème n’est pas que
l’on ne parle pas de l’Union européenne, mais qu’on n’en parle pas de la
meilleure des manières. Ce constat est facilement vérifiable. Dans le contexte
actuel marqué par le Brexit ou la montée des nationalismes (v. Hongrie,
Pologne, Italie …), l’Union se retrouve au cœur d’une spirale médiatique
négative (v. Charlotte Galpin and
Hans-Joerg Trenz, The Spiral of Euroscepticism: Media Negativity, Framing
and Opposition to the EU, University of Copenhagen), dont la cause en est aussi la
conséquence. En effet, les partis extrêmes poussent à mettre l’euroscepticisme
à l’agenda médiatique. La présence de ce débat dans les médias sert ensuite à
alimenter les discours eurosceptiques, qui simplifient au maximum les réels
enjeux de l’Union. Une nécessité de briser ce cercle vicieux se profile alors.
Pour ce faire, il est impératif de
réussir à recadrer le débat, trop pollué par les idées reçues, les articles
capitalisant sur les peurs des citoyens, ne présentant pas les choses dans leur
ensemble. Ces « fausses informations » ou « euromythes » contribuent
injustement à la négativité dont souffre l’Union européenne, et deviennent
rapidement virales par le biais des médias sociaux (v. interdiction des corgies).
L’Union européenne tente d’ailleurs de lutter contre les fake news ainsi que la désinformation
(v. Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au comité
économique et social européen et au comité des régions, « Lutter contre la
désinformation en ligne : une approche européenne », Bruxelles, 26 avr.
2018, COM (2018) 236 final) ou encore la propagande en dehors de ses frontières
terrestres (v. East StratCom Task Force), termes connexes mais non synonymes,
tant pour le bien-être de ses citoyens que pour la survie d’une perception
positive ou, tout du moins, d’une perception sur les scènes nationales.
Ainsi, le rôle des journalistes est primordial et déterminant. Il convient alors de remettre en question l’approche des questions européennes dans médias nationaux. Sur cela, les institutions européennes peuvent avoir un impact. Peut-être devraient-elles tenter de faciliter le travail des journalistes, qui rendent compte de l’état de l’Union européenne. C’est ce que propose notamment la commission Culture et Education du Parlement européen (v. le rapport de 2014, intitulé Communicating ‘Europe’ to its citizens : state of affairs and prospects). Ainsi, plutôt que de vouloir s’adresser directement aux citoyens européens, l’Union européenne devrait sans doute faire progresser l’accès à son information auprès des médias nationaux, pour rééquilibrer le débat à son sujet.
décembre 2018