Quelle gouvernance économique en zone euro?

Quelle gouvernance économique en zone euro ?
Synthèse et propositions suite à une intervention au sein du Collège de Droit

Syriane Le Dantec et Elsa Meyer
Etudiantes en L3 Droit privé –Collège de Droit
Faculté de droit – Université Jean Moulin Lyon 3

 Au sein du Collège de droit en troisième année de licence, nous avons eu une conférence intitulée « Quelle gouvernance économique en zone euro ? » par Charlotte Le Chapelain, maître de conférences en sciences économiques. Cette intervention a été pour beaucoup l’occasion de renforcer voire de découvrir l’influence et les limites des politiques monétaire et budgétaire notamment suite à la crise de 2008. Bien que le propos fût à visée économique, il a été l’occasion de débattre sur des questions d’actualité notamment face aux critiques politiques de la zone euro et son défaut de transparence et de démocratie. 

La conciliation des politiques monétaire et budgétaire s’est trouvée fragilisée suite à l’adoption du Traité de Maastricht en 1992. Dès lors, la politique monétaire a été intégrée parmi les compétences de l’Union européenne. Les Etats ont ainsi abandonné leur souveraineté monétaire et ne peuvent plus, par la même, user de leur monnaie pour combattre différentes crises par l’inflation, l’augmentation ou la diminution des taux de change. Le pouvoir monétaire a été transféré à la Banque centrale européenne (BCE) au sein de la zone euro. La politique budgétaire quant à elle reste une prérogative des Etats membres.

Néanmoins, les Etats ne sont pas totalement maîtres de leur politique budgétaire puisqu’ils doivent respecter les règles de disciplines budgétaires issues du Traité de Maastricht et du Pacte de stabilité et de croissance de 1997. Ces critères de convergence impliquent que les Etats ne doivent pas avoir de déficit public supérieur à 3% du PIB ni de dette publique supérieure à 60% du PIB. Il est intéressant de noter que la justification de ces taux demeure floue, ils ont été mal acceptés. Ces règles empêchent également une politique de relance keynésienne et entrainent des risques d’austérité en cas de crise. En 2013 le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance a instauré une règle d’or budgétaire à valeur constitutionnelle. Cette règle considère que le budget est équilibré si le déficit primaire structurel de l’Etat membre ne dépasse pas -0,5% du PIB lorsque la dette publique excède 60% du PIB. Notons par ailleurs que cette approche des politiques budgétaire et monétaire fonde ce qu’on appelle la doctrine de l’ordo-libéralisme au sein de l’Union européenne. 

Le Conseil d’analyse économique (CAE) a rendu en septembre 2018 une note dans laquelle est développée l’idée que les règles budgétaires ne doivent pas être établies par une formule mathématique sans analyse économique appropriée. D’autant plus que ces règles sont devenues très complexes rendant le cadre budgétaire difficile à intégrer pour les décideurs favorisant in fine leur non-respect. Le CAE recommande ainsi l’introduction d’une règle budgétaire basée sur le taux de croissance des dépenses publiques. Le CAE souhaite la règle suivante : « les dépenses nominales ne devraient pas croître plus rapidement que le PIB potentiel à long terme et plus lentement dans les pays où la dette est excessive. » Finalement l’intégration de cette règle semble plus justifiée et plus cohérente et pourrait même favoriser la démocratie. 

En effet, il semble normal qu’un Etat en période de croissance et de conjoncture favorable soutienne l’économie tout en vérifiant à ne pas laisser courir les déficits. En revanche, l’austérité ne doit pas être toujours la réponse pendant les crises puisqu’elle aggrave les conséquences sociales et politiques. Certaines politiques de relance sont le plus souvent nécessaires afin de relancer l’économie par l’investissement, la consommation, l’augmentation du pouvoir d’achat. Par ailleurs, notre monde est aujourd’hui affecté par de nouveaux défis qui impliquent une réponse urgente. La lutte contre le réchauffement climatique et la politique environnementale nécessitent le bouleversement de certains secteurs économiques ainsi que des investissements. Il semble essentiel pour un Etat de permettre ces dépenses publiques afin de favoriser l’environnement. De plus, l’établissement de cette nouvelle règle, n’étant pas stricte implique un dialogue entre les Etats et la Commission européenne et, dans le même temps, entre l’Etat et leurs citoyens. En effet, les Etats en établissant leur budget ne pourront plus nécessairement justifier leur politique d’austérité par l’obligation de respecter des règles européennes et utiliser l’Union comme bouc-émissaire mais, au contraire, ils devront justifier leurs dépenses en raison de ce que veulent leurs citoyens, ce qui permettrait de favoriser les relations entre l’Union et les citoyens. 

Ensuite, la crise de 2008 a également montré les limites de la BCE dont l’objectif principal est de réduire l’inflation. L’article 123 TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) lui interdit de financer directement un Etat membre, elle ne peut donc pas monétiser un déficit public ce qui a pour risque de priver les Etats membres de marges de manœuvres en cas de crise. Puisque les Etats ne pouvaient se financer auprès de la BCE et que l’augmentation des impôts aurait mal été supportée politiquement, il ne restait plus que la possibilité d’emprunter. Mais le risque de faillite inquiète les investisseurs et a conduit à la crise des dettes souveraines par l’envolée des taux d’intérêt directeur. 

Cette réalité pose la question de la vulnérabilité de notre dette et de l’impact des marchés financiers, souvent étrangers, sur nos politiques et les citoyens. Notre dette est détenue majoritairement à l’étranger. Les investisseurs se fient aux agences de notation pour évaluer de manière non transparente et non démocratique la solvabilité de l’Etat. Face à leur perte de confiance évaluée sur des mécanismes comptables et informatique, l’Etat est contraint de réagir par l’austérité n’ayant pas d’autres réponses.

C’est alors que l’Union a joué un rôle de caution pour rétablir la confiance. La BCE a réagi en diminuant les taux d’intérêt, ils sont à 0% depuis 2016 et Mario Draghi (le Président de la BCE) a récemment annoncé qu’ils n’augmenteront pas avant 2020. Mais c’est surtout en outrepassant ses mandats que la BCE va soutenir les Etats menacés de faillite. En effet, dès 2010 elle va directement monétiser la dette par un programme de rachat des titres de dette publique sur les marchés obligatoires secondaires. En 2012 un second programme de rachat est annoncé pour un montant illimité, la simple énonciation de ce programme a suffi pour arrêter la spéculation sur les marchés. En 2015 et 2016, la BCE a utilisé l’instrument quantitative easing en rachetant des obligations souveraines et des titres privés tout en inondant les banques de liquidités (60 milliards puis 80 milliards d’euros) afin de relancer l’économie.

Des mécanismes de solidarité ont été développés afin de soutenir les Etats et d’enrayer la spirale de spéculation des marchés financiers ; alors même que le Traité de Maastricht interdit la solidarité. Ainsi, le Fonds Européen de Stabilité Financière, le Mécanisme Européen de Stabilité Financière puis le Mécanisme Européen de Stabilité ont été créés dans l’urgence afin de permettre à certains Etats comme l’Irlande, le Portugal et la Grèce de se financer à des taux d’intérêt raisonnables. Ces fonds sont alimentés en fonction des richesses des Etats membres, ainsi, l’Allemagne et la France sont les plus gros contributeurs.

Le fait que la Banque centrale européenne ait dû outrepasser ses mandats est significatif des limites du modèle de l’ordo-libéralisme en cas de crise économique. Ces limites sont aussi présentes concernant la politique budgétaire et l’exigence du respect des critères de discipline budgétaire en cas de crise. En effet, cette exigence a pour conséquences qu’en cas de dépassement du déficit public autorisé en vertu de ces critères, et sous peine d’être sanctionné par l’Union européenne, l’Etat ne peut répondre que par une politique d’austérité, comme on le voit actuellement en Grèce. C’est dans ce type d’hypothèses que l’on voit véritablement l’impact direct de la politique budgétaire sur la société et sur les citoyens européens. Se pose alors nécessairement la question de l’adhésion de ces citoyens à ces politiques décidées au niveau de l’Union européenne.

S’interroger sur la vision qu’ont les citoyens des institutions européennes et de leurs politiques amène à la question de la légitimité de ces institutions aux yeux des citoyens. En effet, on peut relever ici l’une des critiques majeures faites à l’Union européenne et au fonctionnement de ses institutions : le manque de légitimité démocratique. C’est le cas notamment de la Banque centrale européenne, caractérisée justement par son indépendance. Pourtant, comme nous l’avons vu, certaines politiques adoptées par l’Union européenne, telles que la politique budgétaire, ont un impact réel sur les sociétés. Aussi, cette ambivalence entre d’un côté des politiques fortes adoptées, et de l’autre un sentiment de non-participation des citoyens à ces projets, peut expliquer en partie le rejet de plus en plus fort de l’Union européenne. Et c’est actuellement l’un des défis auquel doit se confronter l’Union européenne, à savoir comment intégrer davantage les citoyens dans le processus décisionnel.

Ce sentiment de déficit démocratique a pu avoir comme conséquences pour les citoyens d’envisager différemment leur rapport à la Nation, et à la souveraineté étatique. Cela a notamment pour effet la montée des nationalismes et des mouvements populistes en Europe récemment. En effet, actuellement, il y a un véritable questionnement sur le rôle et les pouvoirs de l’Etat, et sur la marge de manœuvre dont il dispose pour agir politiquement, au sein de l’Union européenne. A ce titre, la gouvernance économique de l’Union européenne, et notamment la politique budgétaire, soulèvent des questions intéressantes : doit-on laisser l’Etat maître de sa politique budgétaire, afin qu’il puisse l’ajuster aux circonstances nationales? Doit-on au contraire restreindre les marges de manœuvre des Etats dans le but d’une harmonisation européenne ? L’harmonisation européenne n’est-elle réalisable que par le modèle de l’ordo-libéralisme ? Il faut bien comprendre que l’ordolibéralisme est un parti pris de la part de l’Union européenne, ayant ses avantages et inconvénients, et qui témoigne d’une certaine vision de l’Europe et des Etats qui en sont membres. Ainsi, penser la gouvernance économique de l’Union européenne revient à définir une certaine Europe.

Or, on voit aujourd’hui de nouvelles alternatives émerger et proposer une nouvelle vision de l’Europe. Différentes propositions ont pu émerger notamment le système des Eurobonds qui permettrait d’emprunter à un taux d’intérêt unique au niveau européen pour les 19 Etats de la zone euro. Mais cette proposition a été rejetée car jugée trop fédéraliste. On retrouve encore la création d’un Parlement de la zone euro et d’un budget de la zone euro. Cette solution pourrait pallier le déficit démocratique de la zone euro et faire face aux critiques de complexité et de technocratie bruxelloise. Ainsi, le Parlement déciderait du budget de la zone euro, pourrait entraîner une harmonisation fiscale et sociale et conduire à l’objectif de taux unique d’impôt sur les sociétés. Les décisions proviendraient de la représentation nationale et non uniquement des chefs de gouvernement et de ministres des Finances. Cette impulsion démocratique ne peut être que saluée.

Finalement trois visions peuvent se dégager, certains proposent, comme par exemple le parti La République En Marche, une plus grande intégration européenne, s’approchant davantage du modèle fédéral. A l’inverse, d’autres revendiquent une plus grande souveraineté étatique, accompagnée d’une attitude plus protectionniste. Une autre voie, médiane, consisterait à conserver le modèle de l’ordo-libéralisme, tout en le rendant plus souple, et en permettant aux Etats de ne pas avoir à respecter les critères de convergence dans certaines circonstances.
Toutefois, quelle que soit la voie choisie, la gouvernance économique de l’Union européenne sera un véritable enjeu dans la définition d’une nouvelle Europe.

Mai 2019