Fiscalité : l’Union de la disharmonie
Adrien Rosier
Etudiant en M1 Droit des affaires et fiscalité – Prépa DJCE
Institut de droit et d’économie des affaires – Université Jean Moulin Lyon 3
L’Union européenne (UE) dispose de pouvoirs restreints en matière de fiscalité directe (unanimité des États membre requis), elle en possède davantage en matière de fiscalité indirecte (TVA par exemple). Les directives TVA ont permis d’harmoniser les règles d’assiette entre les Etats membres, mais les problèmes persistent notamment pour les livraisons et acquisitions intra-communautaires des particuliers. Certains Etats (Irlande, Pays-Bas notamment) pratiquent des politiques de dumping fiscal agressives ne favorisant pas la lutte contre la fraude fiscale. L’affaire Apple avec l’Irlande en est un brillant exemple. La fiscalité des entreprises du numérique pose de véritables questions quant à la capacité des Etats à se coordonner pour faire face à de tels enjeux : les entreprises du numérique seraient taxées à un taux effectif de 9,5 %,alors même que le taux effectif moyen des entreprises traditionnelles serait de 23,2 % dans l’UE (Analyse d’impact de la Commission européenne SWD(2018) 81 final/2 p18 https://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/taxation/files/fair_taxation_digital_economy_ia_21032018.pdf ).
La difficulté des Etats membres à se mettre d’accord sur cette question de taxe numérique illustre bien les divergences d’intérêts qui ne permettent pas à l’Union d’avancer et renforce le sentiment de défiance des citoyens envers Bruxelles. Enfin, la lenteur des discussions sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) illustre ici encore, que les Etats membres ne sont pas prêts à abandonner, en tout ou en partie, cet élément puissant de souveraineté que représentent la fiscalité et le budget national. La situation devient donc parfois ubuesque où les principes fondamentaux de l’Union (liberté de circulation des personnes, capitaux, biens et services) sont utilisés à dessein pour optimiser la fiscalité des entreprises présentes sur l’ensemble de l’Europe (cf. analyse d’impact de la Commission, document précité).
Plusieurs mesures pourraient être envisagées. La moins coercitive pourrait prendre la forme d’un accord-cadre ou déclaration solennelle des Etats membres sur leur volonté de tout mettre en œuvre pour arriver à une fiscalité plus juste et plus équitable au sein de tous les pays de l’Union en s’engageant à aligner les règles. Néanmoins, ce type d’accord démontre très rapidement ses limites, il suffit d’une élection et d’un changement de tête à la présidence d’un Etat et tout peut être à refaire. On pourrait donc penser à élaborer un document plus coercitif (Traité ? Règlement ?) imposant de réelles obligations de résultats aux Etats membres avec des sanctions prévues. Cependant, tel accord nécessiterait l’unanimité des Etats membres ce qui semble impossible en pratique.La situation semble par conséquent délicate à traiter et les solutions sont rares.Sans un minimum de pays alignés sur la question et résolus à insuffler une nouvelle ambition, la question de la fiscalité – aussi déterminante qu’elle soit – risque d’être reléguée au second plan. Les élections européennes pourraient faire changer les choses si les partis pro-européens investissent en masse l’hémicycle, force est de constater que la tendance actuelle présage d’un tout autre avenir… La Commission européenne ne semble pas vouloir attendre ces prochaines échéances électorales et souhaite agir rapidement. Elle envisage en effet de recourir à l’article 48.7 du Traité sur l’Union européenne (dite clause « passerelle ») afin de pouvoir prendre des décisions relatives à la fiscalité sans recours à l’unanimité.Elle songe en outre à utiliser l’article 116 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,lui permettant d’agir en cas de distorsions de concurrence (https://fr.reuters.com/article/companyNews/idFRL8N1ZB3DH). Néanmoins, les chances pour de telles propositions d’aboutir restent malheureusement maigres.
Décembre 2018