Difficultés tenant à l’harmonisation de la fiscalité des entreprises dans l’Union européenne

Difficultés tenant à l’harmonisation de la fiscalité des entreprises dans l’Union européenne
Thomas NONN

Etudiant en Master 2 Droit des affaires et fiscalité/DJCE
Institut de droit et d’économie des affaires – Université Jean Moulin Lyon 3

 L’Union européenne est un marché unique extrêmement poussé permettant, notamment, la libre circulation des capitaux et des personnes, ainsi qu’une liberté d’installation et d’établissement pour les entreprises dans tous les pays de l’Union, dès lors qu’elles sont régulièrement établies dans un Etat membre. Ce principe, cohérent avec l’idée d’un marché unique, induit forcément des problèmes de concurrence fiscale entre des Etats ayant des systèmes fiscaux différents. Face à cette concurrence fiscale intra-européenne, la Commission recherche des moyens d’arriver à une imposition plus équitable au sein de l’Union, et cela passe par deux axes de réflexion : l’assiette de l’impôt et les taux d’imposition.

Les difficultés tenant à l’harmonisation des systèmes fiscaux sont nombreuses et le projet ACCIS (Assiette Commune Consolidée de l’Impôt sur les Sociétés) les illustre parfaitement.

Il s’agit d’un projet ambitieux proposé initialement à la Commission en 2011 (dont les premières communications ont débuté en 2001) mais qui n’a pas réussi à obtenir un accord unanime des Etats-membres, il a ensuite fait l’objet d’une relance en octobre 2016.

Ce projet a plusieurs objectifs, tout d’abord, réduire les formalités administratives en offrant un système européen unifié simplifiant le calcul du revenu imposable, mais également un guichet unique pour déclarer les bénéfices perçus dans l’Union européenne. De plus, il tend à prendre en compte les activités transfrontalières des entreprises au sein du marché unique qui leur permettra de compenser les profits dans un Etat membre contre les pertes dans un autre. Ensuite, il vise à améliorer et garantir la sécurité juridique à long terme des entreprises. Ce projet affiche également très clairement son intention de combattre l’évasion fiscale avec des dispositifs anti-abus, et d’éliminer les disparités entre systèmes nationaux, en outre il rendra obsolète l’utilisation de prix de transfert. Enfin, ce projet servira à soutenir la croissance, l’emploi et l’investissement dans l’Union européenne. Les dépenses de recherche et développement seront encouragées grâce à une déduction majorée et les financements en fonds propres seront récompensés. (Sur les objectifs du projet ACCIS : https://ec.europa.eu/taxation_customs/business/company-tax/common-consolidated-corporate-tax-base-ccctb_fr).

Après détermination du résultat consolidé, l’assiette sera répartie dans les Etats-membres via l’application d’une formule de calcul, ces derniers pourront ensuite imposer la quote-part leur revenant avec leurs taux nationaux d’impôt sur les sociétés.

Au-delà de sa simple utilité pratique, ce projet représente une avancée nécessaire dans l’harmonisation des systèmes fiscaux européens. Cependant, ses difficultés et failles (!) sont rapidement révélées.

Tout d’abord, le principal problème est d’origine institutionnelle. En effet, pour adopter un projet tenant à l’harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne, il est nécessaire d’obtenir un accord unanime des Etats membres. Or, un tel projet touche à leur souveraineté dans l’élaboration de leur politique fiscale et par conséquent, à leurs recettes. Sa mise en place conduirait obligatoirement à une augmentation ou une diminution des recettes fiscales des Etats et « pourrait en outre rendre encore plus visibles les écarts de taux d’impôt sur les sociétés actuellement justifiés (du moins en partie) par des divergences d’assiette » comme l’explique Delphine Siquier-Delot (Fiscalité en Europe : harmonisation ou convergence ? http://europe.vivianedebeaufort.fr/fiscalite-en-europe-harmonisation-ou-convergence/).

C’est cette contrainte qui bloque le plus le projet rendant son adoption plus qu’incertaine. Une des solutions envisageables serait celle proposée par Eva Joly, c’est-à-dire de considérer le projet comme un sujet de concurrence et ainsi permettre son adoption à une majorité qualifiée au lieu de l’unanimité, qui ne risque pas d’aboutir de sitôt. Quoiqu’il en soit, chaque politique fiscale abrite un projet de société, le point de départ de la réflexion autour de cette harmonisation devrait être la compréhension globale de chaque système fiscal.

Un autre problème de ce projet est sa déconnection avec la réalité économique. En effet, une fois adoptée, la directive ACCIS serait obligatoire pour toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasserait les 750 millions d’euros et optionnelle en dessous de ce seuil. La Commission affiche clairement son intention de cibler les grandes multinationales mais conduit à s’interroger sur le développement et le choix d’un tel seuil. En premier lieu il s’agit d’un montant unique de chiffre d’affaire alors que le droit fiscal a tendance à distinguer les prestations de services des livraisons de biens (qui génèrent un chiffre d’affaire plus élevé), un tel seuil mériterait d’être adapté en fonction des secteurs d’activité.

Ensuite il est réducteur de considérer que la taille d’une entreprise ainsi que son impact sur le marché se mesurent seulement au travers de son chiffre d’affaire, c’est un indicateur certes, mais il devrait être couplé avec d’autres éléments. De plus, ce seuil risque d’induire des distorsions de concurrence entre les grands groupes et ceux de plus petite taille. Ces derniers vont devoir examiner s’ils ont un intérêt ou non à opter pour l’ACCIS, cela se traduira par des évaluations et un accompagnement, ce qui aura un coût non négligeable. Ce seuil pourrait même conduire à des distorsions de concurrence entre entreprise opérant un sein du même secteur. En effet, si l’on prend l’exemple du secteur de la distribution, un groupe organisé de manière intégré va l’atteindre bien plus facilement qu’un groupe organisé de façon décentralisé avec un réseau d’établissements franchisés. Cela montre bien l’insuffisance d’un seuil unique reposant sur le chiffre d’affaires. A ce niveau certains proposent de rendre l’ACCIS totalement optionnel, totalement obligatoire ou de fixer le seuil à 40 millions d’euros de chiffre d’affaires (alignement avec la directive comptable) pour l’abaisser progressivement à 0. (Le caractère obligatoire de l’ACCIS en question – Éditions Francis Lefebvre par Delphine Siquier-Delot)

Pour conclure sur ce sujet, il est plus aisé de constater les difficultés tenant à l’harmonisation fiscale dans l’Union européenne que de les résoudre. Les contraintes institutionnelles semblant insurmontables, il apparait nécessaire de sortir d’un mode de réflexion classique et d’envisager la fiscalité autrement. Il serait concevable d’imaginer des mécanismes incitatifs au sein de tels projets pour que les Etats membres disposant d’une fiscalité plus « douce » aient un intérêt à les suivre. Passer par des conventions bilatérales pour revoir les mécanismes de localisation de l’imposition pourrait sembler intéressant, mais, tout d’abord, cela ne permettrait de toucher ni à l’assiette, ni aux taux d’imposition, ensuite, cela serait source de complexité et d’insécurité juridique, et enfin, les négociations entre Etats seraient délicates et déséquilibrées. La question reste donc en suspens, pour autant, il y a encore quelques années, l’idée d’une coopération administrative entre Etats européens sur la transparence et l’échange d’informations semblait impossible à concrétiser et aujourd’hui, c’est un fait ; l’avenir n’est donc peut-être pas aussi sombre qu’il n’y parait.

Janvier 2019