La concurrence fiscale au sein de l’Union européenne :
une incitation à l’adaptation de l’impôt sur les sociétés français
Morgane Fauchon
Etudiante en L3 Droit privé – Collège de Droit
Faculté de droit – Université Jean Moulin Lyon 3
Au sein de l’Union européenne, la politique fiscale est une compétence appartenant principalement aux États membres. Elle permet largement aux pays de mener les politiques économiques et sociales correspondant aux situations auxquelles ils sont confrontés.
Il faut préciser que les traités originaires instituant une union à l’échelle européenne ont posé quatre libertés de circulation à l’origine politique. De fait, Robert Schumann énonce qu’il faut lancer un processus irréversible d’intégration économique pour atteindre « une union sans cesse plus étroite entre les peuples ». Néanmoins, pour arriver à une paix s’étendant sur le territoire européen, il était nécessaire de dépasser une simple coopération diplomatique.
Cette union se réalise alors progressivement, au gré des événements institutionnels, notamment grâce à l’adoption d’actes dérivés par les institutions de l’Union européenne visant à rapprocher les règles économiques et fiscales des Etats membres. En effet, les disparités existantes dans ces domaines sont de nature à porter atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur et à entraver directement l’exercice des libertés économiques de circulation.
S’agissant de la fiscalité directe, l’Union européenne est également habilitée à légiférer lorsque les libertés de circulation du marché unique sont menacées.
Il apparaît cependant qu’une telle harmonisation pourrait devenir nécessaire en ce que la concurrence fiscale au niveau commercial prend de plus en plus d’ampleur à l’échelle européenne dans un premier temps, mais qui apparaît également à l’échelle mondiale.
De fait, l’impôt sur les sociétés (IS) en France a l’un des taux les plus élevés de l’Union européenne. De 1993 à 2018, le taux normal de l’impôt sur les sociétés en France était établi à 33,1/3%. Si à l’époque de son adoption, ce taux était conforme à la moyenne européenne, ce n’est plus le cas aujourd’hui. En effet, d’après Le Figaro, suite la crise de 2008 on constate que la moyenne européenne du taux de l’impôt sur les sociétés a baissé de presque 10 points de 32 % en 2010 à 23% en 2016.
En outre, malgré le fait que le taux de l’IS français soit l’un des plus élevés de l’Union européenne, force est de constater que son rendement est de loin inférieur à celui de ses voisins européens. Selon un rapport de l’Observatoire français des conjonctures économiques datant de 2018, il convient alors de retenir qu’au niveau national la part de l’impôt sur les sociétés dans le PIB français a baissé.
De ces constats résulte la nécessité pour la France de s’adapter à son environnement économique. En effet le Conseil des prélèvement obligatoires (CPO) indiquait le 12 janvier 2017 dans son rapport « Adapter l’impôt sur les sociétés à une économie ouverte » qu’une harmonisation de l’assiette entraînerait une concurrence plus accrue des taux. Un taux trop élevé serait par conséquent encore moins attractif qu’il ne l’est déjà.
Un premier mouvement de réforme a donc été prévu en France par la loi de finances pour 2017 en prévoyant une baisse progressive du taux de l’impôt sur les sociétés pour atteindre 28% en 2020. Toutefois cette trajectoire a été modifiée en 2018, en suivant certaines indications contenues dans le rapport de 2017 (précité) du CPO. La loi de finance pour 2018 a ainsi institué un calendrier de baisse progressive du taux de l’impôt sur les sociétés.
L’objectif de cette réforme est d’abaisser progressivement le taux normal de l’impôt sur les sociétés à 25% pour se rapprocher de la moyenne européenne.
Une telle baisse pose des questions quant à son impact économique. En effet, d’après de nombreuses études cette baisse se traduirait par une baisse de recette pour l’État d’1,4 milliards d’euros soit une perte de recette d’environ 10 milliards d’euros. A contrario, elle serait financée à court terme pour au moins 1/3, par la hausse attendue d’activité et de rentabilité des entreprises. Ce qui par la suite implique une hausse des investissements, de la productivité et de la croissance.
Toutefois, ces effets si positifs d’une baisse l’IS prévus par des tentatives de modélisation doivent comporter certaines limites. La plupart des études ne prennent pas en compte l’impact des augmentations des investissements directs étrangers.
Il ne faut pas non plus omettre qu’une baisse de l’impôt des sociétés dans un pays a souvent pour effet d’entraîner une réaction de la part des pays voisins. Cependant, la France étant parmi les derniers dans l’Union européenne à entamer cette réforme nécessaire, il est plutôt possible d’affirmer que c’est elle qui met en place cette réforme en réaction aux baisses de ses voisins et que d’autres leviers peuvent permettre de financer cette perte de recettes à commencer par la réduction des dépenses fiscales.
De ce fait, la réforme de l’impôt sur les sociétés paraît nécessaire d’un point de vue national, mais encore plus au niveau européen, pour que la France redevienne compétitive et attractive.
Il se trouve, en effet, que sous l’impulsion de l’Union européenne et de la mise en place du marché commun, la problématique des planifications fiscales agressives, que l’on qualifie aussi de dumping fiscal, s’est développée entre les États membres car les sociétés s’implantent au sein du marché commun de l’Union européenne, comprenant 28 systèmes fiscaux différents. Cette hétérogénéité des régimes d’impôt sur les sociétés mène inévitablement au développement d’une concurrence fiscale européenne.
Les États membres de l’Union européenne ont donc progressivement réduit leur taux d’impôt sur les sociétés pour protéger leurs assiettes fiscales et attirer les investissements étrangers.
Néanmoins, ces pratiques fiscales agressives entre les pays se heurtent au principe européen établi pour le bon fonctionnement du marché commun d’une concurrence libre, loyale et non faussée entre les États membres.
Ainsi, l’Union européenne a-t-elle pu mettre en place certaines solutions pour réguler la concurrence fiscale européenne en matière d’impôt sur les sociétés. Il faut notamment mentionner le projet ACCIS développé dans l’article de Thomas NONN « Difficultés tenant à l’harmonisation de la fiscalité des entreprises dans l’Union européenne » de janvier 2019 (publié sur le présent site).
La mise en place de l’ACCIS aura des effets sur les mesures d’intégration fiscale, qui sont apparues au sein de l’Union européenne pour favoriser les groupes de sociétés. En effet, ce mécanisme permet au groupe de sociétés de présenter un bénéfice consolidé, qui est alors imposé dans le pays où se trouve la société mère.
Ces régimes, bien que favorisant la multiplication des échanges au sein du marché commun de l’Union européenne, contribuent aussi à la concurrence fiscale qui existe entre les Etats membres de l’UE. Les pays souhaitent attirer les sociétés mères et les imposer dans leur pays. Or, les différences entre les régimes nationaux d’impôt des sociétés au sein de l’Union européenne, créent des conditions propices à ce que les entreprises transnationales transfèrent leurs bénéfices dans les pays à régime fiscal dits “préférentiels”.
Aussi, dans l’objectif de lutter contre les paradis fiscaux qui permettent aux entreprises d’échapper à l’IS, il incombe d’ici fin 2019, au “groupe de bonne conduite” institué par l’Union européenne d’établir une liste noire des paradis fiscaux présents à l’échelle globale.
A ce sujet, il convient de se référer à l’avis confié en 2016 au magazine Edition législatives par Pascal Saint-Amans, le directeur du centre de politique et d’administration fiscale de l’OCDE. Ce dernier entend, de fait, “redessiner l’architecture de la fiscalité internationale” et ce faisant prévenir les multinationales de commettre des abus. Ainsi, les multinationales ne pourront pas échapper à l’IS dans les pays où elles réalisent leurs activités économiques en fuyant dans les paradis fiscaux.
Le centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE a notamment imposé aux Etats membres de l’OCDE plus de transparence. Le centre dénonce de cette manière les accords fiscaux opaques et secrets signés par certains Etats avec de grandes compagnies. Cette exigence vise effectivement à mettre en place une concurrence fiscale en matière d’impôt sur les sociétés “plus claire, mais aussi plus frontale”.
Cette liste assurera donc aux États membres de l’Union européenne se soumettant pleinement à l’instauration d’une assiette commune en matière d’impôt sur les sociétés, le respect de cette assiette par le reste des États. Les pays inscrits sur cette liste noire se verront refuser l’accès aux financements de l’Union européenne, les poussant ainsi à imposer les bénéfices des sociétés afin de bénéficier de nouveau desdits financements. Dès lors, l’ensemble des États membres se placera dans le cadre d’une concurrence loyale. La France profitera notamment de cette mesure par le rétablissement d’un certain équilibre après la baisse imposée de son taux d’imposition en matière d’impôt sur les sociétés.
juin 2019