Européennes 2019 : en direct d’un bureau de vote
Paroles d’assesseur
Fanny Lheureux
Etudiante en L3 Droit privé – Collège de Droit
Faculté de droit – Université Jean Moulin Lyon 3
En tant que juriste, nous savons qu’un droit n’est effectif que lorsque les conditions matérielles à sa réalisation sont réunies. Il en va ainsi du droit de vote. La première condition à son exercice est la présence d’un bureau de vote et de citoyens pour le faire fonctionner.
Pas de Droit de vote sans un bureau de vote
Or, chaque élection voit resurgir le problème du manque d’assesseurs dans les bureaux de vote. Cette pénurie est suffisamment récurrente pour que l’Etat français ait procédé à plusieurs mesures de simplification en matière électorale par le décret n°2006-1244 du 11 octobre 2006, et notamment sur la composition du bureau de vote qui ne doit désormais plus comporter, outre le président et le secrétaire, qu’au moins deux assesseurs et non plus quatre, et le bureau peut fonctionner valablement au cours de la journée si deux de ses membres sont présents et non plus trois.
Pourtant, de nombreuses communes continuent de se plaindre du manque d’assesseurs. Les assesseurs sont ordinairement désignés par les partis politiques des candidats mais comme il est difficile de désigner un assesseur dans chaque bureau, chaque citoyen inscrit sur les listes électorales peut être assesseur dans sa commune.
On imagine que le problème se pose particulièrement en zone rurale, or il est encore plus prégnant en ville. Après une première expérience d’assesseur pour les élections présidentielles et législatives de 2017 dans mon ancien village de résidence et après avoir vu une publication de la mairie de Lyon sur les réseaux sociaux, j’ai fait la démarche de postuler pour être assesseur bénévole pour les élections européennes du 26 mai 2019. Après avoir rempli un formulaire en ligne, j’ai été convoquée à l’Hôtel de Ville de Lyon à une réunion de préparation, puis à la mairie du 8ème, arrondissement de mon domicile, pour y recevoir mon affectation. Nous étions 700 assesseurs bénévoles recensés pour la Ville de Lyon, chiffre insuffisant pour couvrir les besoins selon les arrondissements.
C’est ainsi qu’alors que pour ma première fonction d’assesseur en zone rurale, je n’avais été mobilisée que sur une tranche horaire de 2 heures, le 26 mai je réalise une journée marathon de 13h ponctuée par une seule petite heure de pause déjeuner, arrivée à 7h45, tenue du scrutin de 8h à 20h, dépouillement jusqu’à 21h. La situation est encore plus critique pour le bureau voisin où il n’y a qu’un assesseur et qui va devoir demander des volontaires parmi les électeurs qui se présentent pour voter.
Répertoire électoral unique (REU) et conséquences
Lors de la réunion de préparation à l’Hôtel de Ville, les assesseurs bénévoles sont informés de leur rôle et du cadre législatif. Notre attention a été attirée sur la nouveauté du scrutin des européennes, du fait de la mise en place du REU, le Répertoire électoral unique, géré par l’INSEE. L’INSEE n’étant pas l’Etat Civil, nous avons été prévenus de la présence possible de petites erreurs comme, par exemple, des coquilles dans les dates de naissance. Auparavant, le répertoire électoral était géré par les mairies. Lorsqu’une personne déménage, elle doit s’inscrire sur les listes électorales de son nouveau domicile. Avant le REU, ce n’est qu’à ce moment là que l’information était répercutée d’où des erreurs de personnes n’effectuant pas la démarche et continuant de voter dans leur ancien bureau de vote ou de double inscription en cas de mauvaise communication. Avec le REU, tout citoyen qui déménage est automatiquement radié de son ancienne liste électorale et doit faire la démarche de se réinscrire. La problématique du REU s’est donc finalement posée autrement.
Nul n’est censé ignorer la loi dit on mais plusieurs personnes qui avaient déménagé il y a plusieurs années et qui continuaient de voter dans le bureau où j’officiais, ont eu la surprise de découvrir qu’elles avaient été radiées. La loi prévoit que le citoyen puisse se rendre au Tribunal de Grande Instance pour obtenir un jugement de réinscription sur la liste électorale, mais encore faut il que ce soit dans le cadre d’une radiation abusive. De fait, aucun des électeurs de mon bureau n’a fait cette démarche et une trentaine n’ont pas pu exercer leur droit de vote. Nous avons eu la situation cocasse d’un couple ayant déménagé en même temps pour lequel Monsieur avait été radié mais pas Madame. Nous avons aussi eu la situation difficile d’un homme âgé avec des problèmes de mobilité qui avait péniblement atteint le bureau en s’aidant d’une canne et à qui nous avons dû refuser le vote. Ce problème avec le REU a été national.
Au plus près des français
Etre assesseur dans un bureau de vote, c’est être au plus près des français. Les problématiques sociétales s’y retrouvent.
Lors de mes précédents engagements en zone rurale, j’avais finalement officié dans un milieu plutôt dit privilégié. Dans le 8ème arrondissement de Lyon, la situation est plus contrastée. D’ailleurs, le bureau où j’étais assesseur est traditionnellement un de ceux de Lyon qui ont le plus faible taux de participation. L’absentéisme avait été annoncé grand vainqueur de ces élections européennes et finalement le taux de participation de 50,2% a été une surprise. Dans notre bureau, le taux a été de 25% mais comme il était égal à celui de l’élection présidentielle de 2017, proportionnellement, il reflète la mobilisation observée nationalement.
Comme au niveau national, la liste RN est arrivée en tête. La liste de la FI est seconde suivi par LREM au coude à coude avec Europe Ecologie les Verts.
La présidente du bureau est une habituée de la fonction et connait bien les habitants. C’était rassurant de ressentir qu’il reste du lien social.
Plus dure humainement a été ma confrontation avec l’illettrisme. Difficile de rester impuissant face à une personne d’âge moyen qui fait la démarche citoyenne de venir jusqu’au bureau de vote et qui, de toute évidence, n’arrive pas à déchiffrer les bulletins et à comprendre à quels partis ou idées politiques ils se rattachent. A plusieurs reprises, des électeurs nous ont demandé des indications mais en vertu du secret du suffrage, nous n’avions pas le droit de répondre.
Ce 26 mai 2019 fut pour moi une journée très positive, épuisante mais passionnante et enrichissante.
Je suis fière par cet engagement citoyen d’avoir été un des maillons qui contribuent à faire vivre la démocratie dans mon pays et d’avoir prouvé que les jeunes savent s’impliquer.
La semaine dernière, j’ai entendu un humoriste comparer ces élections européennes à l’Assemblée Générale annuelle des copropriétaires. Cette AG où on va souvent en traînant les pieds, où il est parfois difficile d’atteindre le quorum, où il y a le voisin qui veut toujours faire des travaux mais jamais payer, le voisin qui ne veut jamais rien faire, les voisins qui s’écharpent avec le syndic, le voisin avec qui le dialogue est constructif, mais cette AG sans laquelle, aucun fonctionnement de l’immeuble n’est possible.
Juin 2019